Jean-Marie Sepulchre, photographe, reporter et auteur d’ouvrages sur la photo*, nous invite cette fois à partir avec lui en croisière lors d’une magnifique exposition intitulée « Dernière Croisière au Kodachrome », au Leica Store jusqu’au 29 décembre.
A la barre de son Leica, il nous conduit sur les rives de l’Argentique, un continent en pleine mutation. Nous faisons escale en Allemagne du Nord et en Norvège. Une traversée commencée, en réalité, fin 2010, lorsque Jean-Marie apprend que Kodak abandonne le développement de la pellicule Kodachrome. Comme tout bon reporter, Jean-Marie a fait ses premières photos en couleur avec ce film, voici bien longtemps. La décision de Kodak le touche, Il en parle sur les forums photo. S’en suivra une étonnante aventure dont cette exposition est le fruit… après maints rebondissements qu’il nous raconte ici :
- Comment avez-vous appris la fin de la Kodachrome ?
JMS - La fin de la Kodachrome a été un long feuilleton… depuis 2003, en fait, et l’arrêt du meilleur film question finesse et rendu des lumières, justement la Kodachrome 25 ISO…mais Kodak a continué à commercialiser de la 64 ISO jusqu’en 2010 et a assuré le développement jusqu’au 31 décembre, dans un seul laboratoire au monde. On envoyait son film en Suisse, Kodak Suisse l’envoyait aux USA, il repartait en Suisse après développement et revenait chez le client…en 10 jours, ce qui n’est pas mal du tout !
- Quand les reporters qui photographiaient en Kodachrome ont appris que Kodak arrêtait à la fois la production et le développement, ils ont dû être surpris… comment vous êtes-vous procuré ces dernières –et si recherchées – pellicules ?
En fait, Kodak a donné à Steve McCurry la dernière bobine de Kodachrome 64 produite, et il a publié sur son site les images de cette dernière bobine ! McCurry (grand reporter de l’Agence Magnum et du National Geographic) était un fan absolu de ce film, cf le mythique portrait de la petite afghane…
Quant à moi, des amis qui savaient que j’étais un fan de la 25 m’ont donné des films périmés et le dernier pack de la croisière vient d’un correspondant belge accro d’argentique, que je ne connais que par Internet !
- Pourquoi « la Norvège en touriste » et pourquoi privilégier la Kodachrome/le Leica pour ce séjour ? Entraînait-t-elle des contraintes techniques ?
J’avais beaucoup utilisé de Kodachrome pour du tourisme depuis la fin des années 60 et notamment en Suède dans les années 70, comme je partais en vacances avec mon épouse sur ce bateau j’ai eu envie de faire ce projet qui était de photographier comme un touriste des années 70…évidemment si on prenait un paquebot dans les années 70, on avait un certain pouvoir d’achat et le top était bien le Leica, d’autant qu’avec une faible sensibilité (25 ISO) on avait besoin d’objectifs lumineux et contrastés…domaine dans lequel Leica avait une avance certaine dans les années 70 (et qu’il conserve avec les optiques ouvertes à f/1,4 mais c’est une autre histoire!)
Quant aux contraintes techniques…eh bien, il a beaucoup plu, j’étais souvent à une vitesse d’obturation de 1/60 s., diaphragme ouvert à f/2. En intérieur, dans le bateau, j’étais au 1/15s. à pleine ouverture. Sans trépied, il fallait vraiment retenir son souffle pour éviter le flou de bougé.
- Avec quel matériel (boîtiers, objectifs, notamment) êtes-vous parti ?
- Je suis parti avec un Leica M5 et le 40 mm Summicron, et j’ai fait la plupart des vues avec, et un Leica M3 et le 90 Summicron. Le M5 qui a une mesure de lumière faisait la cellule pour les deux ! J’avais une ration de un seul 36 poses par jour ! Pour la petite histoire, dans les sorties de la croisière comme sur le bateau, je n’ai jamais rencontré un autre photographe en argentique. ;o)
- Les reporters disent que la fin de la Kodachrome, c’est la fin d’une époque, pourquoi ? Quelles étaient les qualités de cette pellicule ?
- La conservation des couleurs des Kodachrome était incroyablement élevée et des journaux comme National Geographic en ont fait longtemps leur film de prédilection…sans parler de leur caractère, mais là c’est question de goût !
La fin de la Kodachrome, c’est en effet la fin d’une époque, qui a commencé déjà voici une dizaine d’années, avec l’irruption du numérique (dès 2002, le Canon Eos1ds de 11 Mpix avait une capacité de rendre les détails meilleure qu’une dia Kodachrome 25 avec la meilleure optique..).
Pour le reportage de news, on travaillait déjà beaucoup avec d’autres films d’ailleurs, on disait « on sort une Ekta » ce qui était le film « cousin » chez Kodak, et dès le milieu des années 90 beaucoup de photographes d’illustrations travaillaient avec de la Fuji Velvia. En effet les Ektas et les Fuji pouvaient se développer en 1/2 heure presque n’importe où dans le monde, alors que les Kodachrome demandaient au moins 24 h de délai… dans une dizaine de labos dans le monde seulement – un seul en Europe ! L’amateur attendait ses diapos une ou deux semaines. Evidemment, par rapport aux minilabs E6 en une heure, c’était rude !
- Comment, où et quand avez-vous pu faire développer vos pellicules ?
- Mes pellicules sont passées dans les derniers lots, sans problème. Envoi à Lausanne, et retour avec des caches cartons arrondis, comme autrefois ! J’ai scanné moi-même toutes les vues de l’expo (et pas mal d’autres !) avec un Nikon LS 4000 avec une prise d’images en NEF, équilibré les vues sous Nikon Capture NX2, le plus long a été d’enlever beaucoup de petites poussières…mais j’ai laissé les petites franges du carton du cache des diapos.
- Comment s’est fait le tirage de votre exposition (quel tireur, quel papier etc…) ? Le papier que vous avez choisi donne l’impression d’être parsemé de minuscules paillettes d’or qui jouent avec la lumière…
- Pour le tirage, je voulais retrouver l’esprit du Cibachrome, un papier aux reflets métalliques particulièrement apprécié dans les années 70. Le tirage a été subventionné par Leica France et j’ai eu recours à un de leurs laboratoires partenaires, Darqroom à Nantes. C’est Yvon Haze [un des meilleurs tireurs de France], également fan de Kodachrome, qui a effectué les tirages. Je suis allé dans son labo à Nantes, et nous avons tenté différents essais pour retrouver exactement les couleurs que j’avais vues en Norvège. Les pellicules ont été scannées, puis tirées en numérique avec une Epson 9900 sur un papier Teco très légèrement métallisé, ce qui fait penser aux tirages Cibachrome/Ilfochrome des seventies…hélas l’Ilfochrome est hors de prix ! Au final, j’ai eu beaucoup de chance, car, bien qu’étant parti avec des pellicules périmées depuis 2002, je n’ai eu aucun virage de couleur à déplorer ce qui prouve la tenue de pellicule.
- Regrettez-vous la fin de la Kodachrome ? Quelle pellicule argentique peut-on utiliser qui s’en rapproche aujourd’hui ? Les Leica numériques sont-ils utilisables comme les Leica argentiques ou est-ce très différent ?
- Il n’y a pas de film argentique qui se rapproche vraiment du Kodachrome dont la technologie et le rendu étaient uniques, mais on peut retrouver ce caractère en numérique avec des logiciels de simulation de films assez efficaces, comme DxO Film Pack, à condition d’ajuster à chaque vue le rendu du logiciel. Evidemment ce n’est pas exactement pareil ! Sinon les Leica numériques M9 et S2 dont le capteur est justement produit par Kodak sont une excellente base pour retrouver le style Kodachrome…mais je regrette beaucoup que plein de jeunes photographes n’aient pas l’occasion de retrouver la magie Kodachrome d’antan… même l’odeur des diapos en ouvrant la boîte était une signature ;o)
« Dernière croisière en Kodachrome », photos de Jean-Marie Sepulchre
Jusqu’au 24 décembre 2011 au Leica Store,
150, rue de La Pompe,
75116 Paris
Tél : Tél. +33 (0)1 77 72 20 70
Infos : http://www.leicastoreparis.org
* Jean-Marie Sepulchre photographie en amateur, mais il est aussi animateur de sites web sur la photo et auteur de livres techniques relatifs à la photographie numérique aux éditions Dunod et Eyrolles (dont le seul ouvrage en français sur le Leica M9). Il publie tous les mois ses tests d’optiques dans « Le monde de la photo.com »
Propos recueillis par Claire Riou
Monsieur, Sepulchre
La fin , de cette « pelloche », vous évoquez l’odeur , l’attente du retour des boites etc votre historique est parfait , mais l’homme se rend compte après coup , du manque , mais il est trop tard! la seule chose; avec l’odeur etc) que je conserve des « diapos »Kodachrome, c’est de ( tenter) d’avoir un cadrage correct, je faisais ces diapos avec un Canon Ftb QL) . Faut-il tout sacrifier, à la rentabilité, aux fonds de pension qui ont (presque droit de vie ou de mort sur des entreprises qui sont à la pointe dans leur domaine ) , est-il impossible , de préserver ( surtout chez Kodak ) , des secteurs , qui seraient alimenter par une caisse « couleurs » pour la pérennité d’un ou plusieurs produits .. Merci ,à vous Monsieur Sepulchre, pour cette piqûre de rappel , poursuivez vos articles .
cordialement S halleguen