Métier directeur photo : entretien avec Owen Roizman (1/3)
On vous avait déjà présenté le métier de réalisateur avec un entretien en 3 parties accordé par Olivier Assayas. Découvrez maintenant celui de directeur de la photographie, un peu moins connu mais tout aussi important. C’est à lui que revient la responsabilité de la prise de vues pendant le tournage d’un film. Pour cela, il coordonne les efforts de trois équipes : caméra, machinerie et lumière/éclairage. Dernier point : il peut également lui être demandé d’assumer le travail du cadreur. Owen Roizman, 2 fois oscarisé, vous parle de sa formation, de son parcours et de la passion qui l’anime.
Owen Roizman ou l’ode à la photo réaliste
Owen Roizman est un homme modeste qui a tourné quelques-uns des films les plus emblématiques des années 1970 et 1980. Il passe son enfance à New York et commence sa carrière avec des films publicitaires, puis vient au cinéma tout en continuant à tourner des publicités. Son père était caméraman et son oncle monteur. Roizman commence à être remarqué comme directeur de la photo sur deux classiques de William Friedkin, ayant obtenu tous deux l’Oscar du meilleur film : French Connection (1971) et L’exorciste (1973).
▲ L’Exorciste (extrait) – William Friedkin (1973)
Dès lors, il devient un directeur de la photo très recherché et tourne certains grands succès des années soixante-dix comme Tombe les filles et tais-toi (Herbert Ross, 1972), Le brise-coeur (Elaine May, 1972), Les pirates du métro (Joseph Sargent, 1974), Les femmes de Stepford (Bryan Forbes, 1975), Network (Sidney Lumet, 1976) et Le récidiviste (Ulu Grosbard, 1978). Avec Les trois jours du condor (1975), Roizman amorce une longue collaboration avec le réalisateur Sydney Pollack, qui se poursuit avec Le cavalier électrique (1979), Absence de malice (1981), Tootsie (1982) et Havana (1990). Il collabore également à plusieurs reprises avec le scénariste et réalisateur Lawrence Kasdan sur Je t’aime à te tuer (1990), Grand Canyon (1991), Wyatt Earp (1994) et French Kiss (1995).
Pour l’ensemble de sa carrière, Roizman reçoit en 1997 la médaille de l’American Society of Cinematographers dont il a été président et vice-président. Chacun de ses films, y compris de science-fiction ou d’horreur tels que Les femmes de Stepford ou L’exorciste, véhicule une vision réaliste du monde. En vingt-trois ans, Roizman a été nominé à cinq reprises aux Oscar.
Du baseball à la caméra
L’histoire de ma vie diffère de celles que vous entendez habituellement, ce n’est pas le grand classique, « je suis né avec une caméra à la main et j’ai toujours été attiré par la photographie ». Mon père était chef-opérateur, et s’il a travaillé sur des films d’actualités pour Fox Movietone News pendant vingt-deux ans – et aussi des séries TV comme Mandrake the Magician et Sergent Bilko – je n’allais pas souvent le voir sur les tournages. Mon oncle, lui, était monteur, et bien qu’il ait reçu une nomination aux Oscar pour un court métrage, Rembrandt, je n’avais aucune idée de ce qu’il faisait. Si, enfant, j’allais au cinéma, ma vraie passion c’était le base-ball. Je jouais au base-ball et j’ai fait quelques stages de sélection avec les Yankees. J’avais un bon niveau, mais à treize ans, j’ai attrapé la poliomyélite : ma carrière de joueur de base-ball s’est terminée avant même d’avoir commencé.
À l’université, j’ai fait des mathématiques et de la physique ; je me voyais ingénieur ou mathématicien. La dernière année, j’ai passé des entretiens d’embauche avec plusieurs entreprises et je me demandais quel serait mon salaire. Je me souviens que quand un type m’a répondu, « eh bien, vous commencez à 5 000 $ par an, et si ça marche bien, au bout de trois à cinq ans vous pouvez peut-être arriver à 7 500 $ », je me suis dit, « bof, c’est pas des masses ». J’ai alors demandé à mon père combien je gagnerais comme assistant caméraman, et il m’a répondu : « Si tu travailles assez d’heures, tu peux démarrer à 10 000 $ ». Alors j’ai dit, « c’est ça, ce que je veux faire ».
J’étais déjà bien préparé pour devenir assistant caméraman. Quand j’étais étudiant, je travaillais pendant l’été pour une grande compagnie de location de caméras à New York. Il fallait préparer les caméras, vérifier tous les objectifs, contrôler les mécanismes et s’assurer que tout marchait correctement. J’ai ainsi appris comment fonctionne une caméra, ce en quoi consiste le boulot d’un assistant caméraman.
Après cela, mon père m’a mis le pied à l’étrier : comme il travaillait sur des films publicitaires j’ai pu travailler avec lui de temps à autre. Puis il a parlé de moi à quelques-uns de ses amis qui m’ont fait travailler. En toutes choses, le premier pas est déterminant : c’est à ce moment-là qu’il faut un peu de chance et quelques relations. Ensuite, bien sûr, c’est à vous d’assurer si vous voulez qu’on fasse de nouveau appel à vous.
De nos jours, on commence par faire une école de cinéma, on obtient un diplôme et on devient chef-opérateur. Mais à l’époque, on était en situation d’apprenti : on commençait par être assistant, on devenait cadreur puis on montait en grade et on finissait chef-opérateur, souvent au bout de pas mal d’années. Je n’aimais pas trop être assistant caméraman parce que ça impliquait de trimballer un tas de caisses et de matériel, c’était l’un des boulots les plus durs et les plus répétitifs sur le plateau. Mais vous aviez la possibilité d’apprendre en observant les personnes qui bossaient un cran au-dessus ; c’était un moyen de se préparer pour l’étape suivante. J’avais pour ambition de rester assistant le moins de temps possible. J’avais 27 ou 28 ans quand je suis devenu directeur de la photo sur des films publicitaires, ce qui est vraiment jeune : d’ordinaire, on passe de cadreur à premier caméraman ou à directeur de la photo vers 40 ans. J’ai donc fait un chemin assez rapide : j’étais ambitieux et je n’avais pas envie de trimballer des équipements lourds ni de m’occuper de problèmes mécaniques toute ma vie.
Rendez-vous le 16 mai 2014 pour la 2e partie de l’entretien !
Extrait de Métier : Directeur de la photo
Quand les maîtres du cinéma se racontent
Mike Goodridge,Tim Grierson
Collection: Hors collection, Dunod
2014 – 192 pages – 235×255 mm