Métier directeur photo : entretien avec Owen Roizman (3/3)
3e et dernière partie de l’entretien accordé par Owen Roizman pour le livre Métier : Directeur de la photo, Quand les maîtres du cinéma se racontent paru aux éditions DUNOD !
S’inspirer d’autres films… ou pas !
J’élabore toujours une sorte de programme visuel mais je n’aime pas trop me référer à des films existants, je ne veux pas les imiter. (Parfois, même, je me réfère à d’autres films pour être sûr de faire autrement.) C’est sans doute pour Wyatt Earp que j’ai élaboré la préparation la plus détaillée.
Comme j’avais une nuit américaine à tourner, j’ai accumulé une masse de séquences de nuit américaine. En plus, j’ai pris quelques vieux films dont j’avais aimé l’éclairage. À l’époque, ils étaient sur Laserdisc, je pouvais faire un arrêt sur image et sortir une photo sur imprimante. J’ai tout réuni dans un album, les bons et les mauvais exemples. Avec Larry Kasdan nous avons comparé les images, celles que nous aimions et celles que nous n’aimions pas. Nous avons créé une sorte de référentiel visuel des options à prendre, juste pour avoir des modèles : « Tiens, là, j’aime bien cette image, il faut que je m’en souvienne ». Si vous voyiez cet album maintenant, vous diriez que Wyatt Earp ne ressemble pas du tout à cela. C’est parce que je n’ai pas systématiquement noté ces idées, le plus souvent j’ai fait travailler ma sensibilité et ma mémoire. Cet album n’était rien d’autre qu’une collection d’images que j’aimais.
« Je défends toujours l’idée que ce qui compte, ce n’est pas ce qu’on dit ou fait sur le tournage, c’est ce qui apparaît à l’écran. »
Ce qui est marrant, c’est que quand on m’embauchait pour tourner un film, ce n’était jamais après un entretien, ce n’était pas mon truc. Si j’adorais le scénario, j’étais certain de décrocher le job : je trouvais toujours le moyen d’être convaincant. Si au contraire c’était le genre de film pour lequel je me disais, « oui, c’est pas mal, mais je ne suis pas emballé », en général, je n’obtenais pas le job parce que je n’étais pas assez enthousiaste, et ça se voyait. À l’oral, pour exprimer ma passion pour un projet, je ne suis pas au top, alors en entretien, ça a dû refroidir un tas de gens. Je ne sais pas si j’ai tort ou raison, mais je suis ainsi fait et je pense que ce qui plaide en ma faveur, c’est ce que j’ai fait avant, pas ce que je suis. Je défends toujours l’idée que ce qui compte, ce n’est pas ce qu’on dit ou fait sur le tournage, c’est ce qui apparaît à l’écran. Les histoires d’ego, très peu pour moi : mon ego, il est sur l’écran. Je n’ai jamais rêvé devenir chef-opérateur quand j’étais enfant, et ça m’a sans doute aidé dans ma carrière, j’avais moins de pressions. Quand j’ai reçu ma première nomination, pour French Connection, j’ai pensé : « J’ai été nominé ? Ah ! Je les ai bien eus ». Et quand j’ai reçu ma cinquième nomination, un ami m’a appelé pour m’apprendre la nouvelle et m’a dit : « Tu sais quoi ? Tu les as eus encore une fois ». Et j’ai répondu : « Ouais… Quand est-ce qu’ils vont me démasquer » ? J’ai toujours essayé de rester humble. Je n’ai jamais fait un film dans l’intention de décrocher une nomination ou un prix. Pour moi, le prix est simplement un résultat, si je me donne du mal, que je fais du bon travail et que je reste fidèle au scénario. J’ai toujours pensé que j’avais une chance inouïe de faire ce boulot. Tant qu’ils ne me démasqueront pas, je suis prêt à continuer. »
Zoom sur l’Exorciste (William Friedkin, 1973)
Au-delà de la terreur que le film peut inspirer, L’Exorciste est un exemple magistral de maquillage, qui a posé à Roizman des problèmes singuliers. « Au début, ça ne marchait vraiment pas. Dick Smith, notre maquilleur, était patient et continuait à tester différents procédés, mais certains trucs qui à l’oeil avaient l’air de marcher, ne passaient pas du tout une fois filmés. Ça pouvait venir des filtres ou bien des couleurs du maquillage, on a donc tourné plusieurs essais avec le maquillage. » L’une des difficultés pour rendre la transformation du personnage de Linda Blair, venait du fait qu’il n’existait aucun élément de comparaison pour le maquillage ; l’équipe a dû travailler à l’instinct. « On cherchait à rendre la chose crédible. Certaines des premières balafres sur le visage avaient l’air grotesque. Face à une telle créature, vous auriez pensé : “Ça, c’est un travail de maquilleur”.
Malgré tout, une fois le maquillage de Blair mis au point, Smith mettait encore plusieurs heures chaque matin à le refaire, et l’effet risquait d’être légèrement différent d’un jour à l’autre. Ça ne rendait pas tout à fait de la même manière, et je me donnais un mal de chien pour m’assurer que tout paraisse inchangé. Il était essentiel d’employer tous les jours les mêmes appareils d’éclairage, avec la même température de couleur, la même intensité et la même exposition. Le maquillage était entièrement réalisé à la main avec grand soin, mais une erreur humaine est toujours possible. Heureusement, ça n’arrivait que très rarement, et si ce n’était pas parfait, on pouvait toujours le dire à Dick Smith qui est un type formidable. Il ne le prenait pas mal, au contraire, il voyait ce qui clochait et savait le rectifier parce que c’est un véritable artiste. »
Extrait de Métier : Directeur de la photo
Quand les maîtres du cinéma se racontent
Mike Goodridge,Tim Grierson
Collection: Hors collection, Dunod
2014 – 192 pages – 235×255 mm